La vie des premiers colons
        Aurore Boisvert Lévesque (1905-1987)
        St-Marc-du-Lac-Long - 12 janvier 1983
        J'ai entrepris de raconter l'arrivée des premiers colons en 1912.  Il y avait déjà quelques familles mais pas de chemins...
        Thetford Mines 1911
        Notre groupe était presque tout de Thetford Mines.  J'ai commencé à aller à l'école dans l'automne 1911.  Et même qu'elle venait d'ouvrir... Il a fallu apporter notre chaise.  Notre petit voisin s'était apporté une petite chaise berceuse.  Il a dû vouloir faire son drôle...  À la fin de l'année, j'ai eu un prix.
        St-Marc-du-Lac-Long 1912
        Traitant de la colonisation dans le Témiscouata, papa s'est mis à parler de cela aux voisins d'à côté et en face de nous autres.  Ils ont décidé de venir voir cela.  Faut croire que c'était intéressant.  Cinq se sont décidés à prendre des lots.  Le père de famille avait droit à deux lots.  Les garçons en haut de 16 ans avaient droit à un.
        En 1912, ils sont revenus dans leurs familles pour vendre maison, meubles, animaux.  Ils ont gardé ce qu'ils pouvaient traverser en canot.  Il n'y avait pas de chemins.  Les femmes et les enfants sont allés rester chez des parents et les hommes sont retournés défricher et bâtir des camps pour pouvoir emmener leurs familles avant l'hiver.  Les femmes et les enfants ont été conduits par mon grand-père maternel qui venait se prendre un lot.  On est venu par train jusqu'à la Rivière du Loup.  On a été transféré pour se rendre à Notre-Dame-du-Lac.  De là, on est venu en voiture ou à pied du Lac Long.  Une voiture était conduite par un monsieur et l'autre par mon grand-père dans un chemin de bois.  Même mon petit frère avait peur qu'ils nous laissent dans le bois et nous écartent.   Mais non, on a été hébergé par des familles.  Il y avait des membres de cinq familles.
         
        Le lendemain, on embarquait sur un chaland traîné par un canot à moteur.  On était une quinzaine à peu près assis sur des cages de bardeaux comme sièges.  On était sous une pluie battante.  Il y avait une vieille mémère.  Elle a prêté son parapluie à une jeune maman qui avait un bébé d'un mois. On a débarqué encore dans la pluie battante.  Papa était venu au devant de nous.  On est parti pour s'en aller chez un oncle à un mile à peu près.  Les deux jeunes étaient portés par papa et mon grand-père.  Nous, on marchait avec maman dans la boue jusqu'au genoux.
        Il était 4 heures de l'après-midi à peu près quand on est arrivé chez mon oncle.  Il nous attendait avec un bon feu de bois, des fèves pour souper mangées avec des cuillères de bois.  Le ménage n'était pas arrivé...  Je me rappelle qu'on était couché sur un lit de branches d'épinette ou de sapin.  Je ne sais pas.  J'avais une grosse branche sous moi.  J'ai fini par me faire un trou et enfin dormir.
        Le lendemain, on est parti pour s'en aller à notre camp.  Le chemin était plutôt un portage.  Mon grand-père avait le bébé dans un "surfort" fait avec du coton en bandoulière sur l'épaule.  Ça aidait à supporter le poids du bébé.
        Nous voilà dans notre camp.  Papa nous attendait tout en travaillant.  Il n'y avait pas de murs dans le camp.  En dessous des châssis, il avait mis des valises avec des couvertes dessus pour empêcher le froid d'entrer.  Pour le ménage, on avait une table en planches, des bûches pour s'asseoir, un poêle à deux ronds. Pour se coucher, on a passé la première nuit à terre, enveloppés de couvertes pour maman et les deux jeunes.  Mon petit frère a couché à terre lui aussi. Papa a chauffé toute la nuit.  Le lendemain, il y avait de la neige.  C'était la Toussaint.
        On a une valise qui est tombée à l’eau en traversant le lac.  Le linge était tout mouillé.  Papa l’avait étendu sur les arbres.  J’avais une petite robe rose.  Elle était étendue sur un arbre.  Le lendemain, il y avait de la neige dessus.  Je vous dis que ce n’était pas drôle, me semble de la voir…  Ils ont été obligés d’aller la chercher tout de suite…
        Dans l’automne, ils ont coupé du bois qu’ils vendaient.  Ils ont acheté un cheval, des traînes plates et bâti une étable en bois rond.  Pour le ménage, je ne sais pas s’ils en ont acheté.
        Le dimanche avant Noël, maman était en train de faire une crèche en bois rond.  Tout d’un coup, des clochettes… C’était mon grand-père qui arrivait avec sa vieille enveloppe de fourrures.  Ils partaient de Lotbinière.  En voiture, ça leur a pris trois jours.  Ils venaient s’établir sur un lot voisin de nous autres.  Je vous dis que c’était fête!
        St-Marc-du-Lac-Long - 1913
        (J'ai  8 ans le 4 janvier)
        Ils ont passé l'hiver avec nous autres.  Mon grand-père s’est coupé du bois pour se bâtir…  Je vous dis qu’on avait eu un beau Noël.  Je me rappelle que chez-nous allaient veiller avec les enfants enveloppés dans des couvertes et des grelots.  On passait en dessous des arbres couverts de neige.
        On avait eu un prêtre qui était venu dire la messe.  C’est papa qui servait la messe avec un Monsieur Larouche de son âge, nouvellement arrivé avec une famille de trois garçons.  J’ai fait ma première communion.  C’était beau de voir dire la messe.  Pour moi, ils se servaient de plats.  J’avais été à la messe à Thetford Mines mais c’était une grande église où on ne voyait pas beaucoup.
        Au printemps, papa et mon grand-père ont coupé du bois.  Papa s’est bâti une petite étable en bois rond et a défriché un abatis qu’il a brûlé dans le commencement de l’été pour pouvoir semer un peu.  Je me rappelle que c’était sur des buttes de terre.  Dans l’été, papa a eu la malchance de brûler son étable dans laquelle on avait une poule qui couvait à tous les jours.  On allait voir si elle avait des petits poulets.  Elle a brûlé, ça nous a fait de la peine.
        L’eau était charroyée dans un "tonne" vide de mélasse et puisé dans un ruisseau un peu plus loin mais, je ne sais comment, c’était sur le lot voisin.
        Pour l’été, on a encore eu la messe dans le camp à Monsieur Hamel.  L’autel était garnie de fleurs sauvages.  C’était des petites cloches roses qui répandaient une bonne senteur.  Que c’était beau…
        St-Marc-du-Lac-Long - 1914
        L’hiver, les gens étaient obligés d’aller chercher ce qu’ils avaient besoin à Caron Brook chez un Monsieur Michaud, celui qui achetait leur bois.  Ils faisaient à peu près une dizaine de miles sur la ligne du chemin de fer.  Même que papa a été obligé d’envoyer son cheval en bas de la ligne, il arrivait un train.  Il a eu de la misère à faire remonter son cheval et a ramasser la marchandise.  Il fallait qu’il traverse le lac sur la glace.  Dans le printemps, il y a eu un colon qui a perdu un cheval.  Il s’est noyé.  Le colon a pu sauver de la marchandise
        Rendu au printemps, le grand-père a entaillé des érables. Il a pu faire un peu de tire, sucre et du sirop.  Les deux plus vieux aidaient à ramasser l’eau.  Le grand-père avait un traîneau avec une "tonne" pour ramasser l’eau avec son cheval.  Grand-mère faisait bouillir l’eau dans une grande casserole.  Ensuite, grand-père finissait le sirop sur le poêle de la cuisine dans une casserole d’à peu près 24 x 24.  Je vous dis qu’on a mangé de la tire et du sucre en grain.
        On a eu un père qui est venu faire une retraite, le père Omer Pallard.  Il nous avait installé sur une tête d’arbre tombée à terre.  Il s’était assis sur une souche en avant de nous autres.  On a un petit gars qui a monté trop haut sur la tête de l’arbre et qui est tombé au travers des branches.
        Mon grand-père était bâti voisin sur une côte.  C’était beau, on y allait souvent.  On avait un petit nid d’oiseaux entre les racines d’une souche.  On avait hâte de voir nos petits oiseaux mais le cochon était libre.  Il est venu manger le nid et les œufs.
        Mes grands-parents avaient une poule qui venait "cacasser" à la porte.  Ils lui ouvraient et elle venait pondre un œuf entre les deux oreillers du lit.  En débarquant, elle chantait.
        Dans l’été, le curé était allé faire une visite chez le grand-père.  Celui-ci avait crié à grand-mère: « Bonne femme, sort les petits cochons de la maison, le curé arrive!!! »  Papa avait trouvé ça bien drôle, il contait cela souvent.
        Dans le printemps, notre groupe de colons avait préparé des abatis.  Ils brûlaient chacun leur tour pour pouvoir s’aider à surveiller afin que le feu ne prenne pas ailleurs.  Ensuite, il fallait faire des tas de ce qui restait des feux pour les brûler à leur tour.  Maman a voulu aider mais on était meilleur pour se nourrir que de devenir des petits nègres.  Papa a aimé mieux qu’on reste à la maison.  Ils ont pu semer des patates en faisant des buttes.  Ça a été une belle récolte.
        On a eu encore un feu qui venait d’en dehors.  C’était pas beau à voir.  Ma grand-mère est venue enterrer un petit coffret de tôle dans la terre pour conserver leurs papiers importants.  Tout ça me fatiguait, je suis allée mettre une petite statue sur une élévation et une dans un chicot.  Dans ce temps-là, on avait confiance, mais, c’est devenu trop dangereux, il a fallu se sauver au lac.  C’est un oncle qui nous a conduit.  Moi, j’étais de santé fragile et ça me fatiguait.  Maman m’envoyait me coucher mais je ne restais pas couchée.  Je revenais dans le châssis.  C’est drôle, on dirait que quand on se sauvait, j’étais la première à courir en avant.
        On a pu revenir le soir.  Notre camp était sauvé mais le feu a couru grand.  On voyait partout des feux dans les arbres… Même que plus tard, en voyant un feu le soir, mon grand-père est allé voir.  C’était un arbre qui brûlait mais on voyait le feu seulement le soir.  Par prudence, ils sont allés abattre l’arbre.  Mes petites statues n’avaient pas brûlé.
        On entendait pleurer le soir, tard.  Papa est allé voir. C’était un hibou.  Pour des jeunes de 7 ans et 9 ans, on commençait à avoir connaissance de bien des choses nouvelles… on partait d’une ville…
        St-Marc-du-Lac-Long - 1915
        Dans l’hiver, notre grand-mère nous faisait la classe.  C’était de l’or, ces grands-parents là!  Ils avaient à peu près 68 ans!
        Avant on avait l’Abbé J.B. Dubé qui venait résider à la Rivière Bleue comme desservant.  Cependant, ce prêtre était malade et a quitté son poste après trois mois.  Son successeur, l’Abbé J.M. Gauthier est aussi chargé des Étroits, mais, après un an, on reçoit un desservant en l’Abbé Georges David Jean qui a la charge d’une trentaine de familles.
        Il entreprit aussitôt la construction d’une chapelle école sur un terrain donné à la Corporation Épiscopale par Joseph Soucy avec promesse que ceux-ci seraient enterrés pour rien à leur mort.  La chapelle, une construction de 30 x 40 pieds avec une sacristie de 15 x 25 pieds, a pu servir durant l’hiver 1914-1915.  Elle a été bâtie avec beaucoup de corvées.  Notre curé, de 26 ans seulement, a été nommé pour servir St-David d’Estcourt.
        En août, un grand-oncle est venu se promener chez sa fille.  Il a trouvé la vie de colon à son goût.  Il a décidé de se prendre un lot et il partait arranger ses affaires et revenir pour y rester.  Comme il n’y avait pas d’écoles, chez-nous ont décidé de nous envoyer, le garçon de 7 ans chez un oncle à Québec et moi, 9 ans, à Lévis chez un autre oncle pour pouvoir y aller.  Ces oncles n’avaient pas d’enfants.  Ayant une occasion, notre grand-oncle s’en allant, ils nous ont envoyés avec lui.
        Le garçon étant jeune s’ennuyait.  Moi, j’aimais tellement l’école et je me préparais à faire ma petite communion.  Je ne m’ennuyais pas.  Seulement, je n’ai pas pu faire mon année.  Comme aux Étroits, ils bâtissaient une chapelle école et qu’il était certain d’avoir l’école à l’automne, chez-nous ont décidé de profiter du retour de notre grand-père de Québec pour nous ramener à la maison.  C’était en février.  On est revenu sur le train et on est arrêté chez-nous, dans une station neuve bâtie avec beaucoup de corvées.  Même que notre curé qui avait seulement 26 ans y a beaucoup travaillé.
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